Date : lundi 28 janvier 2019
Horaire : 17h30
Lieu : Tours, CESR, Salle Rapin, conférence suivie du moment de convivialité
Organisateur : Conférence SACESR par par Madame Caroline CALLARD, Maîtresse de conférences habilitée, Université de Paris Sorbonne
« L’avènement de la philosophie mécaniste de Descartes et de Newton aurait dû entraîner la disparition des fantômes au sein de l’Europe moderne. Mieux, dans l’Angleterre protestante cette disparition aurait dû s’orchestrer dès le XVIe siècle, au moment où les pasteurs anglicans dénoncent le Purgatoire comme instrument de terreur aux mains des prêtres et répudient la possibilité du retour des spectres.
Pourtant, des silhouettes aux contours très anciens peuplent toujours les mondes européens de la première modernité : enfants mort-nés, cadavres sans sépultures, gardiens spectraux de trésors oubliés, suicidés, assassinés, femmes mortes en couche,… Se dessinent parfois autour d’eux de pâles paysages nocturnes : dames blanches, chasses maudites, vaisseaux fantômes,… Très souvent aussi, ils ont le visage familier de personnes proches. L’effet de leur présence est marqué de la même ambivalence, tantôt apaisante, tantôt effrayante, comme le sont les réponses qui leur sont apportées, qui vont de l’assistance au rejet.
L’objet de cette conférence est cependant moins de mesurer l’intensité d’une “croyance” ou de la cartographier, que de s’interroger sur les actions que les femmes et les hommes de la Renaissance ont envisagé de mener dans la compagnie des spectres et grâce à eux. On cherchera ainsi à définir ce que fut le « moment spectral » de la première modernité. Au XVIe siècle deux éléments majeurs semblent devoir le caractériser : tout d’abord le succès que rencontrent les histoires de fantôme dans le livre imprimé, et ce en dehors du cadre de la théologie ou de la littérature de dévotion (comme c’était le cas au Moyen Age) ; frappe ensuite la promotion savante du spectre, objet d’un savoir qui cherche à se légitimer dans le cadre de l’essor de la philosophie naturelle (et que nous appelons la physique). Ainsi “armée”, l’action des spectres se déploie dans le contexte de crise religieuse, de « temps paniques » qui définit cette période, et dans laquelle il apparaît, mais non tant comme un produit de la peur, que comme une figure agissante de la résolution des conflits et du gouvernement de la peur. Ces conflits s’observent tant à l’échelle des communautés (protestantes et catholiques) qu’à l’échelle de la famille, selon une temporalité fracturée par la guerre civile. Dans ce cadre, on verra comment les pouvoirs laïcs et religieux ont cherché tantôt à capter à leur bénéfice, tantôt à contrer, les menées de l’acteur fantôme. »
Caroline CALLARD